LE BALCON, 2016
Salle de l'Ecole Supérieure des Arts Décoratifs de Strasbourg/ HEAR
Texte de Jean Genet
Scénographie, costumes et mise en scène : Camille Kuntz
Suite à des conversations avec Jean-Luc Nancy sur la question de l'obscène, dont voici une partie de notre entretien retranscrit:
«Moi : Penses-tu que l’obscène soit de plus en plus apparent dans le champ du visible? S’absenterait-il alors de l’invisible, de l’obscurité d’où il vient?
Jean-Luc Nancy : Oui il y a une expansion de visions de la nudité, de l’érotisme qui tendanciellement approche l’obscénité ; et du coup risque de produire ce qu’on pourrait nommer une invisibilisation de l’invisible: on oublie ou on occulte qu’il y a du non-visible, de l’intime, du réservé à un regard amoureux (ou médical) et que cette visibilité restreinte renvoie aussi à une invisibilité totale, celle de l’amour lui-même"
je décide de créer l'espace-temps d'un nouveau monde érotique, manière de mettre en tension le porno mainstream... Les extraits tirés du Balcon, deviennent en outre le support textuel pour mettre en évidence les liens entre représentations du sexe et les différentes formes de pouvoir (clérical, juridique, politique, phallocentrique...).
Folie des grandeurs, disproportions, adorations exagérées des images du pouvoir, observateurs observés, et aveu du désir de voir toujours plus. Je mêle tout ça dans une "maison d’illusion" faite de carton, les spectateurs, invités, à l’entrée, à choisir leurs fantasmes sur un tableau affichant la nomenclature du bordel, sont dispatchés entre spectateurs-voyeurs et spectateurs-actifs. On introduit d’abord les spectateurs-actifs sous la soutane de l’évêque, et pour accéder à l’espace circulaire d’où on les appelle, ils doivent écarter le pénis et les testicules immenses du saint homme sous lequel ils sont coincés, tous devenus tout petits sous lui... Les voyeurs, quant à eux en attendant, se glissent dans les coulisses, où des fentes leur permettent de voir, ce qui se passent de l’autre côté. Tels des glory-holes ces trous servent à regarder mais aussi à faire pénétrer des bouts de corps, des objets divers, parfois surréalistes, poétiques, on y voit de parts et d’autres les yeux des spectateurs-voyeurs, ici un sein, là une jambe puis une autre, puis un sex-toy ou un éventail, ou encore une pompe-poire égouttant une sorte de lait-sperme au sol, de l’un des trous centraux la maquerelle du bordel, madame Irma, laisse simplement dépasser ses lèvres et place une voix, robotique et sensuelle, pour donner ses ordres... « qu’on fasse entrer ces messieurs-dames dans le salon Vélocipédique, parsemé de selles rustiques: venez-vous asseoir, asseyez-vous, asseyez-vous ! C’est pour lui que vous êtes venus amis cyclistes ! Bande de coureurs athlétiques ! » J’ai choisi de matérialiser ce salon (simplement évoqué une fois dans l’énumération des salons par Irma) pour introduire des extraits des scènes des Trois Figures, et d’autres auxiliaires. Les spectateurs-actifs, à qui l’on a attribué selon le fantasme, depuis le début, une casquette de cycliste numérotée, y découvrent derrière un rideau de tulle gobelin -qu’on soulève alors- un espace rempli de bicyclettes correspondant aux différents numéro. Dynamos branchées, reliées chacune à un phare descendu des cintres dans l’espace qu’ils viennent de quitter, et qui vient du même coup d’être obstrué par le rabaissement du rideau tulle, les spectateurs-actifs sportifs sont amenés à devoir pédaler afin de pouvoir voir leur fantasme apparaître... se réaliser, ou bien arrêter de faire lumière si le jeu est allé trop loin pour eux.
"J'ai redécouvert à quel point les selles de vélos peuvent être excitantes " Steven Cohen
"Ton théâtre relève de l'esthétique du théâtre de rue ! " Jacques Livchine